[De longues minutes plus tard]
Ashabie s’était absentée quelques minutes, suffisamment en tout cas pour écrire une missive et se rendre au pigeonnier pour l’envoyer.
Elle était donc de retour auprès de sa monture, vraisemblablement soulagée de ce qu’elle venait de faire. Les yeux rivés sur l’animal, un sourire s’afficha sur son visage décontracté.
Mais n’était-ce pas là qu’une façade ?
Approchant alors le tabouret sur le flanc droit du cheval, la donzelle s’y assit et commença à brosser la robe de son fidèle compagnon.
Celui-ci semblait apprécier et Asha continua donc son activité en chantonnant.
Elle se stoppa soudain.
Décidément, il y avait cette manie chez elle, de ne pouvoir garder le silence bien longtemps, sauf lors des cérémonies religieuses. Elle ne brossait plus Ouragan, mais reprit lorsqu’elle s’aperçu qu’elle restait immobile.
Finalement, je l’ai fait. J’ai envoyé cette lettre. Nous savons aussi bien, lui comme moi, que je ne suis pas faite pour être sédentaire. C’est ainsi, bien que je redoute quelque peu sa réponse. Pourtant, il n’a jamais été méchant avec moi, mais il lui faut une femme qui lui corresponde mieux … Quelqu’un qui ait les mêmes idéaux, les mêmes envies, les mêmes ambitions.
Elle continuait son action tout en parlant.
Jamais il n’aurait dû quitter l’ost, du moins, pas totalement, il voulait prendre du temps pour nous …
Elle soupira longuement.
C’est affreux, je me rends compte que je suis la seule responsable ! Il voulait passer du temps avec Mallorie et moi, être plus présent, s’assurer que notre avenir serait stable … je suis cruelle et impardonnable.
Soudain, elle lâcha brosse et tabouret, ressortit sa croix, et s’agenouilla sur la paille. Elle avait besoin de se confesser, mais la seule diaconesse face à qui elle pouvait s’exprimer avait quitté le monde terrestre depuis quelques semaines déjà. Il lui fallait donc ce tête à tête avec Dieu et quel meilleur endroit que la stalle d’Ouragan, lui-même ne comprenant rien à ce qui se passait, et les membres de la confrérie étant trop occupés ailleurs.
Les doigts croisés, la tête baissée, son pendentif menaçant le sol, Ashabie était fin prête. Elle prit une grande inspiration et se lança.
On ne communique pas assez vous et moi et je le déplore. Je me contente de réciter mes prières, je me confessais à la seule personne que je savais digne de confiance pour ce que j’avais à dire, mais là, je dois avouée que je suis dépassée.
J’accepte ce que je suis, mais je viens d’envoyer une lettre qui sera des plus blessantes pour Jeremus. Vous savez combien je l’aime, oh oui je l’aime ! Mais vivre avec lui c’est comme de volontairement m’enfermer dans une cage dorée, et encore, pas si dorée que cela. Je suis démunie, sincèrement, les choses de l’amour sont toujours aussi compliquées, même avec autant de vécu que le mien.
Vous me suivez depuis tant d’années, vous savez comment je suis, vous savez que je ne tiens jamais en place, mais au point de l’avoir blessé avec cette lettre qui est déjà partie ?! Je suis ignoble, et encore, le mot est en dessous de la vérité. J’aurai vraiment préféré l’avoir de visu, lui expliquer mon ressentiment, mais je suis lâche, faible, je me laisse aveugler par mes désirs de voyages … Je disais ne plus vouloir refaire ma vie après la disparition de Centhor, j’aurai peut-être dû me tenir à ça, d’autant plus que mon amour a été plus fort pour lui que pour les autres …
Une larme se mit à ruisseler le long de sa joue gauche, les souvenirs remontant à la surface. Et pourtant, c’est que Jeremus aussi avait était un grand amour, le deuxième malheureusement, pas celui pour qui Ashabie était prête à changer, mais il est vrai qu’il avait été à ses côtés dans les bons comme dans les mauvais moments, même s’il tardait parfois à se montrer.
Ma punition serait que Jeremus ne me pardonne jamais, qu’il me haïsse et il aurait bien raison ! Ne le blâmez pas si jamais il décide de me détester à jamais, je n’aurai vraiment que ce que je mérite.
On critique les femmes pour ce qu’elles sont ou ce qu’elles font, mais finalement, il est vrai que nous avons le vice en nous.
Maintenant j’espère juste ne plus me laisser guider par mes sentiments, que si mon cœur faibli, ma raison prendra le pas suivant la situation à laquelle je suis confrontée.
Oh oui je vous en conjure, je me repenti du plus profond de mon âme pour toute la cruauté dont j’ai fait preuve.
Vous, vous m’avez déjà punie en m’enlevant Mallorie, maintenant je vous en supplie, aidez moi à reprendre le droit chemin, aidez Jeremus à se reconstruire, je sais qu’il aura du chagrin.
Je vous en remercie d’avance, espérant juste que vous ferez ce geste pour moi, je ne demande rien d’autre … Amen.
Un signe de croix, elle se releva et épousseta le pan de ses braies. Remettant le pendentif autour de son cou, elle reprit un moment le brossage de son cheval avant de tout remettre en place et de quitter la stalle pour la nuit.